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Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mercredi 17 août 2011

Marches indigènes

Depuis le 15 août, des centaines d'indigènes boliviens sont partis de Trinidad pour rejoindre La Paz, capitale du pays. Le trajet est prévu pour durer quarante jours et couvrir 700km. Ce n'est pas la première fois qu'un tel mouvement populaire est initié, et ce n'est pas un pèlerinage, c'est un mouvement populaire de révolte.

La première marche indigène fut en 1990. Une Marche pour le Territoire et la Dignité. La plus glorieuse, où les indigènes des Basses-Terres ont réussis l'exploit de se faire connaître du pays entier en ne faisant que marcher. Bon, faut dire, 700km à plus de 3000m de dénivelé et un climat bien arrosé, c'est pas rien. D'autant que c'étaient pas des habitués mais des gens de tous âges, avec des enfants dans les bras et des vieux sur le dos. Chaque jour du trajet ils tenaient une réunion collective pour discuter de ce qu'ils allaient faire et à chaque étape ils profitaient de l'aide des paysans, indigènes ou non, qui leur apportaient logis et nourriture. L'accueil des indigènes des montagnes ou se situe La Paz, les Aymaras et Quechua furent émouvante, les photos que j'ai pu voir m'ont presque mis les larmes aux yeux.
Les soins étaient apportés par les organisations indigènes, avec le soutien du maire (alcalde) de Trinidad. Les militaires furent même envoyés dans les villages pour aider les femmes restées, et les protéger des éventuelles représailles des éleveurs.

Car le problème, c'était l'exploitation par les éleveurs des terres traditionnelles des indigènes, c'est à dire des peuples qui étaient là avant et ne peuvent plus vivre de manière traditionnelle. Ils revendiquaient donc la restitution de leurs terres et la reconnaissance de leur statut d'indigènes.

Arrivée au bout, ils ont rencontré le président et ont négociés avec lui pendant trois jours. Ils ont obtenu la signature d'un décret impérial qui offrait à plusieurs ethnies un territoire, dont les modalités étaient à définir. Pour fêter ça, un grand mariage a eu lieu, entre deux personnes qui s'étaient rencontrés pendant la Marche. Le président a ensuite affrété un avion qui a causé de grandes frayeurs aux indigènes qui voyaient un piège sournois. Ils sont finalement retournés chez eux en héros, sans qu'une goutte de sang n'ai été versée.

La seconde Marche a eu lieu en 1996, cette fois pour réclamer davantage de terre, pour davantage d'ethnie, et une meilleure reconnaissance de leurs droits. Le chemin fut choisis différent, passant par Santa Cruz puis Samaipata, qui fut son terminus. Les négociations furent malheureusement accélérée par le décès d'une mère de famille qui participait à la marche. Elles furent néanmoins bénéfiques, au moins pour les Sirionos qui bénéficièrent d'un deuxième espace, agrandissant leur territoire.

La troisième Marche, en 2003, fut différente puisqu'elle ne concernait pas seulement les indigènes de cette région du pays mais fut plus large. Elle concernait cette fois la redistribution des richesses, les indigènes réclamant que les impôts et aides de l’État n'aillent pas dans les poches des gouverneurs et maires mais directement aux chefs indigènes. Le mouvement fut plus compliqué, avec de multiples tensions sur la route, mais finalement victorieux, puisque la Constitution en train d'être votée pris en compte une partie des revendications, développant le concept d’État plurinational, dont j'ai déjà parlé.

L'an dernier a eu lieu une nouvelle marche non fructueuse et ils remettent donc ça cette année, en partant le jour anniversaire de la première marche, en direction d'abord de Cochabamba, la source du problème cette fois. Il s'agit d'un projet de route permettant en gros de relier l'ouest du pays aux routes vers le Brésil, partant de Villa Tunari, proche de Cochabamba jusqu'à Saint Ignacio de Moxos, près de Trinidad. Une route qui traverserait une réserve naturelle, le parc Isosoro Sécure, lieu de vie de près de cinquante milles indigènes.

Et cette situation m'en rappelle une autre...Reformulons le problème qu'ont les indigènes boliviens : Pour des raisons économiques, un projet de route va perturber la vie de centaines de milliers de personnes. Ça ne vous dit rien ?
À moi, ça me rappelle le projet de TAV Lyon-Turin. Une immense autoroute qui permettrait de passer de la France à l'Italie par le Val de Susa, détruisant définitivement la tranquillité de ce coin de montagne. Un projet pharaonique, qui connaît des oppositions depuis des années, avec des rassemblements régulièrement pour bloquer les travaux, aussi bien en ville que sur place. Le dernier a eu lieu il n'y a pas si longtemps et a réuni vingt milles personnes, si mes souvenirs sont bons. Les NO TAV sont bien connus en Italie, mais moins en France, qui fait tout pour passer sous silences leurs actions, même quand il s'est agit d'un vol considérable d'explosif ou de personnes dégagées du chantier par une force policière d'une violence rare.

La situation est différente, mais finalement, certains problèmes trouvent des échos ailleurs dans le monde et montrent qu'il existe différentes modalités de lutte mais aussi une puissance économique bien plus importante en Europe qu'en Bolivie, ou le projet sera sûrement abandonné d'ici quelques jours.

En attendant, je vous invite à vous renseigner un peu sur le TAV et sur ce qui se passe en ce moment en Bolivie. L'AFP écrit régulièrement des dépêches sur le sujet, suffit de les chercher un peu (ou d'ajouter un champ perso «Bolivie» sur Google Actualités). Voilà un article bien synthétique, sur plusieurs mouvements qui mériteraient chacun leurs livres d'histoires. Je ne doute pas que vous ayez des questions en finissant cette lecture, et vous pouvez donc vous sentir libre de les poser, sachant que cette fois je ne pourrai pas répondre à toutes, ne connaissant pas complètement bien la situation.

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