Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

dimanche 29 septembre 2013

Dernière semaine au village

J'écris le récit de mes derniers jours en Bolivie depuis l'aéroport de Madrid, car il m'a été impossible de l'écrire quand j'étais encore là-bas, tant j'ai été occupé. J'ai moins de temps à attendre que les autres années pour monter dans l'avion qui me ramènera sur mon sol natal, mais je crains que ça ne m'empêche pas d'écrire un très long message, ou deux, pour ne pas trop vous ennuyer.

Je vais commencer ce récit au week-end du 14-15 septembre où sont venus quelques pasteurs de La Paz dans le village d'Ibiato et terminer au dimanche matin, jour de mon départ du village. La présence des pasteurs visait à conclure une opération de réfection de l'église historique du village, qui tombe en ruine faute d'entretien. Et ils sont convaincus que c'est grâce à moi que cela pourra se faire, m'étant très reconnaissant. Qu'ai-je fais de si incroyable ? J'ai filmé l'église et pris quelques photos des murs délabrés pour les envoyer aux pontes de l'église. J'ai aussi aidé à écrire une lettre de sollicitude aux bons Samaritains pour qu'ils aident, utilisant mes incroyables connaissances en traitement de texte. En gros ça m'a pris trois heures et la paroisse m'en est très reconnaissante.
Le plafond de l'entrée.
Ce même week-end est arrivé un peu par hasard un duo polonais de voyageurs cinéastes. Ils ont reçus de leur ministère de la culture une bourse pour acheter un camion au Mexique et prendre la route du sud. Après dix mois de voyages, ils arrivent à Ibiato. Je suis content d'avoir un peu de compagnie, et nous échangeons de la musique et des images. Ils veulent aller chasser, et par chance, un vieux du village vient me voir pour me proposer de le filmer le lendemain. Je lui propose donc d'aller à la chasse. Il accepte à condition qu'ils aillent acheter des munitions, des cigarettes et de la coca. Ils sont en manque de clopes et vont donc faire un aller-retour au village d'à côté en acheter.
Lundi je suis donc allé à la chasse avec deux polonais, deux sirionos (un autre plus jeune nous accompagne), deux fusils, deux appareils photos et ma caméra. Nous avons marché un long moment sans voir un animal, passant par les trous d'eau où ils ont l'habitude d'aller boire en saison sèche. Il a plut deux jours avant et il y a des flaques un peu partout, ce qui n'aide pas. Finalement, nous apercevons un coati roux dans les fourrés. Le jeune ajuste son tir mais manque sa cible. Il le guette un moment puis tire encore, sans que la balle ne parte. Son fusil s'est enraillé et il ne fonctionnera plus de la journée, ce qui me va plutôt bien. Je ne tenais pas trop à voir mourir des animaux. Un peu plus loin, je perds de vue l'avant du groupe et reste perdu un moment avec un de deux polonais. Nous discutons en attendant les autres, incapables de les retrouver. Finalement, nous retournons ensemble guetter au bord d'un point d'eau. Le coin est magnifique mais l'attente inutile, les deux seuls oiseaux qui passent bénéficient de l'arme enraillée. Un peu affamé, je me décide à goûter la coca, qu'ils gardent dans la bouche depuis le matin. Bon ben, ce n'est pas exceptionnel, mais effectivement, ça coupe la faim et ça donne de l'énergie, ce qui me servira plus tard.

Tirer sur un animal ou tirer le portrait, chacun sa lubie.
Retour au camion, que nous avions laissé dans un ravin sur le bas-côté. L'arbre entre les roues avant est en dessous du niveau du chemin et il bloque la remontée du camion. Nous tentons de creuser avec les machettes, ce qui marche bien mais ne permet pas de sortir. Les deux polonais pensent qu'il est nécessaire d'appeler un tracteur ou une camionnette pour nous sortir de là. J'épuise mon crédit en vain. Les deux chasseurs décident d'aller chasser encore un peu dans la nuit qui tombe rapidement. Je me repose un moment dans le camion tandis qu'un polonais grimpe sur le toit du camion et prends des photos de la lune qui jongle avec les nuages. Il reste un bon quart d'heure, à prendre une photo toute les quatre secondes, manuellement, pour finalement que ça compose un film de quelques secondes. Il en est très content, une de ces meilleurs images. Je me lasse d'attendre et propose de creuser encore et d'utiliser le cric pour faire un caillebotis avec des troncs d'arbre tombés. Nous nous affairons à la lumière de la pleine lune et réussissons finalement à sortir le camion du ravin. Retour au village en joie, après un passage par le village voisin pour acheter quelques bières et des cigarettes.
Guetter est ce qu'ils considèrent comme chasser.
Le lendemain, alors que partent les polonais, j'avais prévu d'aller à l'autre village siriono, Ngirai – Pata de Aguila. Le ciel est nuageux et j'annule finalement mon voyage, car les enregistrements vidéos sans soleil sont tristes, et que le son du vent gâche souvent l'audio. Je passe une excellente journée à travailler avec Hugo, malgré trois interruptions. Une sollicitation de l'église par le biais du pasteur, qui voulait que je copie un film qu'avait les samaritains de passage au village ce jour là, et que je filme leur proposition pour l'église le soir même dans l'église. Une nomination des sportif, comme parrain pour les shorts et chaussettes de l'équipe de foot du village, qui va participer à un championnat départemental prochainement. Et enfin, les enfants du village, ou plutôt leurs parents, qui m'invitent à un anniversaire pour prendre des photos. Malgré tout ça, j'arrive à étudier trois vidéos intéressantes et à apprendre comment on dit « copain » de manière interjective dans la langue, je veux dire, pas la forme « un copain de ma soeur » mais « comment ça va, copain ? ». Il m'aura fallu deux ans d'études pour finalement l'entendre dans un enregistrement, et mon informateur a réalisé qu'il l'avait oublié.
Une séance de travail typique avec Hugo. Photo par Szimon, un des deux polonais.
Le lendemain, le temps est gris à nouveau et je décide d'avancer mon ultime voyage à Trinidad pour rentabiliser la journée. Le taxi se remplis et nous partons à l'aube, à dix dans une camionnette. Le chauffeur, Bladimir, s'endort dans une ligne droite et la voiture glisse jusqu'à un étang où elle plonge jusqu'à la moitié du moteur. Nous sortons par l'autre côté et attendons sur la route que passe un tracteur. Par chance, très vite passent les bons samaritains qui appellent un copain qui vient avec un pick-up et aide le taxi à sortir son véhicule de la boue.

Je passe une journée de folie à Trinidad, réglant une douzaine de choses que je dois faire avant de partir, notamment récupérer à la poste un colis d'Aurore qui s'avère être un sympathique puzzle-cube à la Rubik. Je passe à la douane payer une partie de l'amende que je dois payer à cause de mon temps de présence en Bolivie, qui dépasse le visa touristique. Je mange une dernière fois du pacu en cebiche, une préparation de poisson froid au citron à se damner. J'achète aussi à boire pour ma soirée de départ d'Ibiato. Le retour au village ne se fait pas simplement cette fois-ci, nous ratons le dernier taxi et sommes obligés d'aller au village d'à côté et de terminer en moto.
Et oui, c'est le printemps qui arrive ! Au fond, une voiture qu'ils désossent petit à petit.
J'arrive à jeudi, ou j'avais prévu d'aller à Ngirai, même si le temps n'est toujours pas génial. J'y suis allé pas mal de fois finalement, sur ces trois dernières semaines et c'est presque exclusivement là-bas que j'ai réalisé mes enregistrements vidéos. Je revois Doña Mery qui m'appelle Jakwanindou (je francise l'orthographe, ils écriraient nyakanindu), le jeune, en siriono. Nous enregistrons une bonne petite heure puis nous sommes happés par une commission qui va observer l'occupation d'une partie du territoire Siriono par un fermier. Je les accompagne pour faire quelques images qui leurs serviront comme témoin d'un vol de plusieurs hectares. Retour au village en début d'après midi, où j'enregistre encore quelques histoires puis des discussions de groupe, ce que je n'ai pas encore trop fait mais qui amène des données linguistiques intéressantes. Nous poursuivons ensuite la discussion autour d'une bière, pour fêter mon départ du village. Ils sont très émus, et reconnaissant pour ce que l'on a fait ensemble. Pas vraiment pour l'argent que je leur ai donné, qui est assez peu finalement, que pour le sentiment de compter. Je donne de l'importance à ce que leurs voisins et leurs enfants mésestiment et c'est ça le plus important finalement. En écoutant des vieilles chansons dont la fin manque, une femme d'une cinquantaine d'année a eut des larmes aux yeux, réalisant qu'elle n'était pas capable de compléter la chanson, et que peut-être, personne ne pourrait le faire. Avec ma présence au village, ils ont réalisé que leur culture se perd.
Les enfants se montrent parfois intéressés par les enregistrements réalisés.
Je crois en fait que le fait de considérer que la langue est partie de la culture est une vision occidentale. La langue d'un groupe humain évolue avec les contacts et de nombreux groupes ont changés de langue au cours de l'histoire. Ce qui change aujourd'hui, c'est la possibilité technique de conserver des parties de ces langues, des fragments. On tente de patrimonialiser, non de conserver mais d'inscrire la trajectoire humaine dans des archives. Pour les histoires traditionnelles, ça marche parfois, comme pour le patrimoine russe par exemple, ou des frères Grimm, mais pour une langue ? Quand un groupe humaine décide de changer de moyen de communication, est-il souhaitable d'archiver sa langue ? De rendre accessible aux futures générations l'identité de leurs parents ? Ou, quand c'est possible, est-il mieux de remettre la langue en usage, de développer le bilinguisme entre une langue liée à l'économie mondialisée et une langue liée à la culture et à la tradition ? J'ai quelques réponses, bien sûr, mais je pose ces questions pour vous, donc n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez par rapport à votre vécu.
Les terres Sirionos volées par un fermier de la région (jusqu'aux arbres).
Le vendredi, j'ai encore enregistré de nouvelles histoires, le matin avec le chasseur du lundi, l'après midi avec l'ancien du village qui m'a finalement accepté. Le pasteur du village m'a invité à manger à midi pour inaugurer la cocotte minute qu'ils venaient d'acheter. Une journée studieuse mais bien agréable, car beaucoup de choses ont pu se terminer. Je n'ai pas rangé ma caméra pour autant. Le samedi matin est venu un couple que je n'avais pas encore pu enregistrer, malgré qu'ils parlent très bien la langue et qu'elle fut présidente de l'organisation des femmes du village durant la première marche indigène (j'ai parlé de ça il y a quelques temps). Nous avons beaucoup discuté avant d'enregistrer, pour clarifier l'objectif de mes enregistrements, ce que j'ai fais jusque là et comment ils pourraient participer. Nous avons ensuite fait de bien bons enregistrements jusqu'à midi. Un repas simple, mes hôtes ayant passé une bonne partie de la matinée à préparer du gâteau et une boisson à base de maïs cuit pour ma soirée de départ. Je me repose une petite heure puis retourne voir l'ancien du village qui veut conclure ses enregistrements. Il me chante quelques nouvelles chansons traditionnelles que j'enregistre avec grand plaisir. Je compte mentalement le temps qui s'ajoute à ce que j'ai déjà. Je sens que je dépasse les 19 heures d'enregistrement, sans atteindre les 20. En même temps, c'est l'objectif que j'ai proposé à la bourse qui finance mon voyage, pour la fin de mes trois ans d'étude. Je leur ai dis aussi qu'il y aurait au moins 5 heures élicités, étudiées, et ça, je l'ai fais. C'étaient des objectifs à accomplir en trois ans, j'ai pris pas mal d'avance de ce côté là, ce qui est très bon. Par contre, pour l'étude de ces données, il me reste beaucoup à faire.
Une séance d'enregistrement dans ma maison, dont le mur du fond a enfin été mis en place.
Je range finalement ma caméra, que je sortirai une ultime fois le lendemain, pour prendre une photo de l'équipe de foot du village en tenue, prêts pour le championnat. Nous nous installons ensuite devant ma maison, pour faire une petite soirée tranquille. En même temps se fait un anniversaire qui a attiré plus de monde que ma soirée de départ, ce qui était très bien, puisque je n'ai vu que les gens que j'aimais bien, et non pas tout le village. Plusieurs personnes ont dit des choses très émouvantes. J'étais fier de ce qu'ils me disaient, content de voir que ce que j'ai fais ces derniers mois à servis, et triste de partir. J'ai remercié les gens, surtout Hugo, mon collaborateur, qui est une personne que j'apprécie énormément, malgré sa propension à l'ivrognerie. Je refusais qu'il se saoule ce soir là et j'avais donc acheté uniquement du cidre, pour trinquer. J'avais trouvé aussi du curieux cidre de fraise et du doux cidre d'abricot, plutôt bons. J'avais aussi acheté du Sprite, ce qui les changeaient un peu du Coca Cola. Mon hôte avait préparé de la viande avec du riz, comme d'habitude. Par manque d'organisation, ils n'ont pas pu trouver de manioc au dernier moment et ont raté les chasseurs qui revenaient de la chasse. Peu m'importait, en fait, c'était tranquille et ça m'allait bien. Le président du territoire est passé un moment, complètement ivre. J'ai attendu qu'il reparte pour proposer aux derniers lurons présents de goûter de ma bouteille secrète. J'avais prévu une petite bouteille de mezcal, Gusano Rojo, qui porte bien son nom puisqu'au fond de cette spécialité mexicaine reposait un vers. Je leur ai fais découvrir la manière de boire à l'occidental (je ne sais pas d'où ça vient ?) en mélangeant avec de la limonade (ici du Sprite) et en frappant le verre avant de boire la mousse. Du coup, nous ne nous sommes pas saoulés et la dernière tournée, à guetter dans quel verre allait tomber le vers, était mémorable.
La fête dans ma maison, avec à gauche Fernando (mon hôte), Erik (de l'histoire avec l'anneau), Hugo, Ezequiel (le pasteur), moi, Bela (la femme du pasteur), la voisine, plusieurs personnes avec qui j'ai enregistré et enfin, l'ancien du village.
Je me suis réveillé à l'aube, ayant pris le rythme bolivien, et j'ai balayé les restes de la fête devant ma maison. J'ai ensuite fais mes deux sacs, avec la crainte de ne pas pouvoir les fermer, obligé de laisser plusieurs vieux t-shirt et chaussettes trouées. J'ai pu les peser et voir que je pouvais y faire rentrer mon hamac finalement, en plus de mon charango. J'ai nettoyé ma chambre, qui servira pour un des deux enfants et je me suis préparé au départ. Un départ qui ne se passa absolument pas comme prévu, ce que je vous raconterai dans un prochain message, celui-ci étant déjà bien long !

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